Du G.R. 5  au  G.R. 55  :  Avancer vers l'horizon qui recule  ...  


C'est l'aventure qui nous attendait, lorsque nous quittions les bords du lac Léman,

pour entamer la premiè­re étape de la Grande Traversée des Alpes, qui devait

nous mener jusqu'à Modane dans la vallée de la Maurienne.                               

                                                                                                        

Avancer vers l'horizon qui recule ……, plus autre chose, plus des tas d'autres choses.

Car ici, le paysa­ge qu'on a devant soi n'est pas plat, bien au contraire!

Cela ne fera que monter et descendre, les 3 premiers jours ….et les suivants ……

et ainsi de suite jusqu'au 14e jour.

Il nous aura donc fallu 14 jours pour parcourir les quelques­ 200 km qui nous

séparaient de Modane (135 km à vol d'oiseau). Quant aux dénivelées, on n'en connaîtra

l'addition qu'à la fin, lorsqu'on aura avalé le dernier morceau : 14 000 m nets (et des broutilles

impossibles à comptabiliser) en montées cumulées et quasiment autant en descentes.

D'accord, et les impressions ? Elles sont multiples, changeantes, enrichissantes.

On part avec des repères géographiques dans sa tête et des cartes au 1/50 000e dans une

pochette plas­tique, mais on ne sait pas à priori ce que cela va donner...ni comment on va

supporter les 14, 15 ou 17 kilos de son rucksack des heures durant et quelles vont être les

douleurs musculaires ou articulaires qui agrémenteront la marche. Alors on se rappelle

mutuellement les règles incontournables de la vraie randonnée : la règle des pieds

(qui doivent faire l'objet de soins constants), la règle de l’estomac (qu'il faut remplir sainement),

la règle de la progressivité de l'effort, etc ...

Le 3e jour est généralement réputé le plus dur, parce que les muscles protestent avec

véhémence d'avoir été si durement malmenés pendant 2 jours. Alors ce jour‑là, pour ne pas

nous laisser abattre, nous avons imposé à nos machines 10 heures de marche, 2000 m de

montée et 4 cols ! Et la récompense toujours au bout de l'effort : la nuit réparatrice au refuge,

puis une condition physique qui va en s’améliorant les jours suivants.

La quête d'une douche dans un gîte d'étape, les nuits peu confortables dans certains

refuges comme à Moëde-Anterne, la ration quotidienne de 6 à 8 heures de marche,

les vêtements mouillés qu'on met à sécher sur les rochers, et tous les petits problèmes se

résolvent au fur et à mesure ; et, peu à peu, on redécouvre cette faculté de l'homme à

parcourir de grandes distances... à condition d'y mettre le temps. Alors de col en col, de vallée

en vallée, le nom des massifs change : Chablais, puis Beaufortain, puis Vanoise. Nous vivions

désormais dans un monde différent, où les choses simples comme trouver de l'eau prennent

parfois une importance considérable, et où les exigences de confort de l'homme moderne

paraissent ridiculement dérisoires. Ainsi s'explique mieux la réaction que nous eûmes

cet après-midi lors de notre passage à Tignes : déçus par cet univers cubique entièrement

voué au ski et où aucun magasin n'ouvre l’été entre midi et 16 heures, nous décidons de

nous enfoncer au coeur de la Vanoise pour traverser ce massif par le G.R. 55.

La perspective des difficultés de trouver du ravitaillement les jours suivants ne nous a pas

rebutés. Il suffira de se satisfaire de ce qu'on trouve dans les refuges et dans les rares fermes. 

Oui, quand on marche ainsi, on va toujours à la rencontre de quelque chose : à la

rencontre du paysage, bien sûr, mais aussi à la rencontre des gens, et parfois, à la rencontre

de soi ‑ même, Nulle part ailleurs qu'en montagne, on a autant de plaisir à rencontrer quelqu'un,

à échanger quelques impressions ou même à lier une amitié fugace avec ceux qu'on retrouvera

à l'étape suivante.

Crapahuter pour mieux se connaître, parcourir le paysage pour mieux apprendre la

géographie, avoir des angoisses pour mieux apprécier la sérénité retrouvée : il n'y a pas de

doute : la montagne rend l'homme meilleur !

                                                                                                                 Fernand Lutten

 


 


La randonnée longue distance n’empêche pas de rêver, de fantasmer, ou encore d’avoir                  des activités purement intellectuelles. Bien au contraire. Vivre quelques jours dans un monde différent, cela donne de l’inspiration. Rien de tel qu’un thème directeur pour meubler

 les conversations durant les longues heures de marche. C’est ainsi que Fernand, Guy

et Jean-Paul durent leur inspiration …. à l’Armée française en déroute.

Leur passé militaire ou pseudo-militaire leur valut les grades respectifs et définitifs….

de colonel, pour le premier, de sergent pour le second(il avait combattu dans l’Aurès),

et d’aspirant pour le troisième(dispensé de service militaire, il en a rêvé toute sa vie).

D’autres thèmes furent parfois abordés, comme le sexe, la religion,

 l’enseignement, …… ou la chasse au dahu.

Mais c’est à l’armée des bidasses, des colonels retors, de la dérision des grades et des derniers combattants que nous devons les meilleurs calembours, les meilleurs contrepets

et les meilleurs moments de rigolade.

Cette courte explication permet ainsi de mieux comprendre la teneur de certains

« MORCEAUX  CHOISIS »

 


                                                                                                     


      Extraits de carnet de route …….

 


26 juillet 1990 : Refuge de Maljasset ( C.A.F.).

 

Nouvelle péripétie : Au lever, Fernand s’aperçoit qu’on lui a subtilisé son rucksack (la malédiction du dahu !….) - Explication : Philippe (Antelme), le gardien du refuge, l’a embarqué dans son véhicule, croyant qu’il faisait partie du lot des sacs à acheminer à la prochaine étape pour le compte d’un groupe de randonneurs.

Nous le récupérons en fin de matinée à Fouillouse, avec une tournée d’excuse offerte par le gardien. Résultat : Jean-Paul poursuit la route chargé comme une mule, alors que Fernand donne dans l’allégé (c’est à la mode…)

Parcours peu exaltant (3 h de goudron, alors que la chaleur pèse à nouveau). Les gorges de l’Ubaye sont spectaculaires. Fernand en profite pour essayer le « pas du dahu », sur une seule jambe. C’est émouvant ! Gîte courant d’air «chez Bourillon », dans le village haut-perché de Fouillouse. La perle de l’Ubaye ! On goûte à l’omelette du Père Bourillon. Beaucoup de randonneurs méridionnaux. On a jasé avec une jolie randonneuse bien bronzée … mais elle était très entourée.

Grosse émotion : des os de dahu sont exposés chez Bourillon : L’espoir renaît de voir enfin le dahu tant recherché par les deux ethnologues ….. Nuit dans un dortoir hétéroclite : Jean-Paul n’en finit pas de faire grincer son lit métallique, tandis que Fernand se prélasse dans un vieux lit Henri IV hérité de l’arrière-grand’ mère Bourillon.

                                                                                                          Jean-Paul Bevi


 


.                             

 Histoire de  …… pains

 

                                                                                  Nota : dans l’Armée française, un pain est un journée à passer en prison

 

Dans les forêts les plus reculées,

là où la main de l’homme

n’avait jamais mis le pied,

trois intrépides randonneurs

ont cherché au péril de leur vie

l’arbre mythique : Arbor panorum.

 

 

Sous les sombres frondaisons,

aujourd’hui menacés par Dame Pollution,

ils ont suivi le G.R. Rouge et Blanc

long comme un jour sans pain

et qui sentait bon le pain chaud !

 

A leur port altier et martial

on devinait la crème des armées ;

voilà des hommes, des vrais,

qui en avaient bavé dans le Violu,

où ils étaient entrés dans la légende.

 

 

Pourtant leur colon, ne lui en voulez pas

ne savait que distribuer des pains,

comme un curé de paroisse des hosties !

C’est pour la bonne cause, braves gens,

Le chef a toujours raison,

même si ses lointaines campagnes africaines

lui avaient un peu fissuré le képi !

Le sergent Mougeot, ne le « Blâmont » pas,

reçut tant de pains qu’il en vida son sac.

Quant à l’aspi, plutôt bonne pâte,

il préférait les miches des filles à soldats !

Mais où se cachait donc cet arbre à pains

 

 

responsable de tous nos pé - pins ?

Un jour enfin, l’aspi tomba sur un bouquin,

écrit par un botaniste du nom de Jos.Pain,

qui expliquait en substance que le-dit arbre,

ou jaquier ou artocarpus, Moracées,

porte des fruits de plus de 30 livres.

Dare-dare, nous avons quitté la forêt,

où nous ne nous sentions plus en sécurité,

car prendre un pain de 15 kilos sur la tronche, fusse-t-il mérité – le colon a toujours raison –

Il y a de quoi assommer un homme

et décourager les meilleures vocations militaires !

 

Nous avons donc changé d’étage

pour gagner le frais alpages,

à l’abri des pains

et des fours à pains.

Mais nous venions,

par la même occasion,

de tuer la raison d’être d’un colon.

Il avait mangé son pain blanc le premier

Et nous lui ôtions le pain de la bouche !

 

“ Memento, homo, quia pulvis es et in pulverem reverteris “

Il déprima très vite, devint blanc comme farine.
Il fallût tenir croûte que croûte.

Un jour enfin, un communiqué laconique des armées

nous annonça la mise à la retraite rétroactive

du valeureux colonel Schwarzenbaddler.

Hélas, notre bonheur fut de courte durée,

car nous passions, dès le lendemain,

sous les ordres du général …. Boulanger !

Nous allions avoir de nouveau du pain sur la planche !


                                                                         l’aspirant – poète : J.- P. Bevi   

 

 


  L’hébergement 

 

Dans des refuges, dans des gîtes d’étape, à l’hôtel, chez des particuliers, etc ….. le mode d’hébergement fut aussi varié que surprenant.

 

Voici les meilleurs fleurons de l’hébergement glanés au hasard des étapes :

 

1)Aux chalets de Bise (Chablais) : réveil à trois heures du matin par la mise en route de la machine à

   traire les vaches !

2)Gîte d’alpage du Plan Mya (Plan de la Lai, Beaufortain) : Orage et pluie sur le toit de bardeaux

   disjoints par la sécheresse. Il faut une demi-heure de pluie pour « regonfler » les bardeaux en bois.

   Entre temps, l’eau dégouline dans le dortoir-cuisine-salle à manger et mouille les lits !

3)Refuge de Moëde-Anterne (Beaufortain): serrés comme des sardines, on dort dans un réduit sur 

  plusieurs matelas superposés !

4)Gîte de Boussieyas (Mercantour) : L’ « annexe » du gîte est une tente Marabout. On y a droit !

5)A la Vacherie de Roure (Mercantour) : dans la grange au-dessus du bétail, non loin du valet de

  ferme qui nous avait raconté avoir fait plusieurs mois de tôle dans sa vie !

 


                    et aussi en Suisse ……..

 


6) A Villars-sur-Ollon (canton de Vaud) : Les recherches aboutissent à ………..un collège anglais.

    Le directeur nous offre un luxueux dortoir à trois lits et trois bureaux, et commande trois repas à la 

    cantine du collège, le tout à l’œil (pour la France, dit-il). Mais le cuisinier est resté introuvable, les

    trois repas aussi ! Explication : les élèves sont partis en vacances le jour-même !

7)A Lauenen (canton de Bern) : dans une des maisons de l’épicier du village : une grande maison 

   campagnarde pour nous tous seuls !

8)Au Dürrenberg (Berner Oberland): au-dessus de l’étable à chèvres, rustique et original en somme,

   si ce n’est que le fermier a coutume de laisser les sonnailles au cou de ses chèvres durant la nuit !

9)A Gletsch (au pied de la Furka) : à l’Hôtel de la Gare, style 1900 authentique, avec maître d’hôtel et

   robinetterie sanitaire en laiton ! Tarif : c’est pas donné !

10)A Safien Platz (Grisons) : nous sommes piégés par l’unique auberge du hameau : coup d’arnaque 

     hélvète sur nos porte-feuilles : 100 francs suisses la demi-pension, sans compter les bières !